mardi 29 septembre 2009

Onze ans

Je me suis longtemps demandé comment résumer mon histoire. Non pas que cela soit indispensable, j’aurais pu me contenter de la vivre, la vivre pleinement et rester dans l’instant, mais non, il fallait que je l’analyse. Cela doit être mon coté cartésien, et le poids de la culture occidentale aussi, ou le syndrome de l’écrivain. Ça doit être cela la malédiction de l’écrivain dont parle Claire Castillon entre autre. Pour EE Schmitt, "l’écrivain est un amoureux de la complexité". Bref. Je voulais résumer mon histoire, être capable de la synthétiser en une phrase, pour lui donner un sens.

J’ai passé mon adolescence à Versailles dans un de ces excellents établissements des banlieues Ouest de Paris où tout le monde fait « allemand première langue » avec option grec et potentiellement latin aussi.

Selon mes parents, il fallait a) faire "S", b) « se mettre en position de n’avoir que l’embarras du choix entre Sciences Po et HEC. ». Telle était la mission dont on m’avait investie, ma fonction dans la vie, l’identité qui était devenue la mienne malgré moi.

« Il faut viser S, puis il faut se mettre en position de n’avoir que l’embarras du choix entre Sciences Po et HEC. Ensuite, il faut entrer dans un grand groupe, au niveau junior, et ne plus le quitter pour profiter de ce système paternaliste, passer au niveau 2, puis senior, cotiser pour ses retraites, et puis mourir.».
Quand vous fréquentez de tels établissements pendant votre cursus scolaire, que vous baignez toute la journée dans cet environnement, votre objectif en tant qu’être humain devient de décrocher les « félos » au conseil de classe, d’avoir 19 ou 20 en toutes les matières parce que 16 ou 17 c’est franchement médiocre. 16 ou 17 c’est bon pour un BEP éboueur. Oui, fréquenter un établissement tel que celui que j’ai fréquenté, vous rendre en cours dans un collège et lycée de ce type tous les jours pendant cinq ans ne peut pas ne pas vous monter pas a la tête. C’est tout simplement inconcevable, quel que soit votre degré de personnalité et d’individualisme, le processus de socialisation aura raison de vous au moins en partie.

Les études supérieures dans lesquelles je me suis orientée, si elles ne se dirigeaient pas vers HEC ou Sciences Po, restaient dans la continuité de mon milieu social. J’avais résolu de voyager, de faire des études dans l’international, je pensais vaguement a l’hôtellerie qui était un débouché idéal pour changer de pays régulièrement. Tout ce que je savais, c’était que je ne voulais pas « me mettre en position de n’avoir que l’embarras du choix entre Sciences Po et HEC », ce n’était pas ce que je recherchais dans la vie, mais comme je ne voulais pas de scandale de famille, j’avais sauvé l’honneur en ne « me fermant aucune porte », parce que mes études étaient de nature commerciale.

Lorsque vous baignez dans la culture « école de commerce » française, vous vous habituez à tout un champ lexical ; il fait tellement partie de votre quotidien que vous n’en remarquez parfois même plus l’absurdité.
« J’ai une piste avec Cartier et une avec Prada » est un exemple, « J’ai une touche avec une HR de LVMH » en est une autre. Aujourd’hui, quand je me souviens de tout cela, je suis vraiment contente de ne plus trouver cela normal de parler ainsi toute la journée. Et dire qu’à l’époque c’était ma vie ces gens !
En tous cas, je dois une chose à ce cursus morbide : il m’a permis de partir un an en échange à SJSU. SJSU ? me direz-vous. SJSU, et bien c’est « San Jose State University », campus américain de plus de vingt mille étudiants dans la Sillicon Valley.

Depuis, j’ai travaillé. J’ai trois ans d’expérience dans la distribution et l’import de vin, trois ans comme commerciale à haut niveau dans le secteur, très américain, des « Legal Technologies », et trois ans dans l’Internet et l’eMarketing. Et oui, je me suis un peu dispersée dans ma carrière, c’est mon coté aventureuse qui a du mal à se retenir de tout tenter lorsqu’une opportunité frappe à sa porte!
Onze ans plus tard, j’y suis encore (dans la Sillicon Valley).
Ah et j’oubliais le plus important : comme le dit l’expression « opposites attract ». Je suis tombée amoureuse, de quelqu’un qui pourrait difficilement avoir une éducation plus différente de la mienne. Amoureuse à en mourir d’amour. Amoureuse à en oublier mon nom. Amoureuse à vouloir tout plaquer, y compris ma culture maternelle, ce que du reste, j’ai fait, sans forcement en peser toutes les conséquences sur le long terme.

vendredi 18 septembre 2009

Que je le veuille ou non

Il y a une chose essentielle que je veux absolument clarifier avant de me lancer dans l’aventure de ce blog:

Je n’ai pas du tout avec les Etats-Unis le rapport que pourrait avoir une « expat », une femme d’ « expat », une visiteuse, et encore moins une « fan ».

Ce pays, avec ses bons et ses mauvais cotés, et sans que cela soit pour moi ni une source de fierté, ni perçu comme un accomplissement, ce pays, je l’ai adopté. Parce qu’il n’y avait pas de doute possible. J’étais destinée à faire un petit bout de chemin ici, voire même un gros! Pour mieux comprendre. Pour écouter d’abord, et puis comprendre cette société qui influence le monde et y suscite tant de passions. Il fait partie de moi. Il était mon destin. Je le déteste autant que je l’aime avec cette même complexité que l’on ressent parfois à l’égard de ceux qui feront forcément toujours partie de notre vie.

Comme on adopte très tôt un ami de longue date, j’ai adopté ce pays, avec lui mon identité franco-américaine sans que cela ne fut vraiment délibéré. Quand quelque chose comme cela vous tombe dessus, cela devient une évidence dont l’on se détache avec le prisme de la neutralité parce qu’il n’y eut tout simplement pas d’autre chemin envisageable. Je ne peux pas dire que si je revenais en arrière je ferais autrement. Que je le veuille ou non. C’est un fait. Je suis franco-américaine.

lundi 14 septembre 2009

Définir la France en une phrase

Si vous deviez définir la France en une phrase, une définition ou bien alors une anecdote qui en retranscrit l’essence…quelle serait-elle ?


« Le pays qui a conduit son roi à la guillotine le 14 Juillet 1789 » ? « Le pays qui fait bruler les voitures de pauvres innocents dans la rue pendant les manifs ou les fêtes » ?
« Le pays qui a gagné la coupe du monde de foot en 98 en battant le Brésil 3 à 0 » ?
Pas facile en tous cas.


Pour Frédéric Beigbeder, la France, c’est « un pays qui a réussi à perdre deux guerres en faisant croire qu'il les avait gagnées, et ensuite à perdre son empire colonial en faisant comme si cela ne changeait rien à son importance. »


Nous avons partagé mon cousin et moi, une réflexion à ce sujet, réflexion dont cette citation de Beigbeder avait été le point de départ. « Expat » comme moi, mon cousin fait partie de ces gens avec qui je peux parler pendant des heures.


D’après lui, ” Tout était là». Ce début du dernier roman de Beigbeder était « la clé de la situation de la France aujourd’hui ». Personnellement, je reste convaincue que la France vaut plus qu’un petit pays qui a perdu des guerres et ses colonies. Le symbole de la révolution française, par exemple, est intemporel et le monde associe encore aujourd’hui notre pays à un pays qui a su changer son destin, à un pays dont le peuple s’est soulevé pour aller libérer les prisonniers et se débarrasser de la royauté.


Le peuple révolutionnaire français est allé jusqu'au bout de sa révolte et, pour reprendre une expression bien franchouillarde, c'est plus facile à dire qu'à faire. Apres, on peut reprocher à tout cela de n’être que violence bien sur, mais la révolution, la vraie, comme disait le Che, passe forcement par des excès. Je reste donc très attachée au symbole de la révolution française. C’est peut-être assez abstrait les symboles mais ca reste, c'est ce dont tout le monde se souvient toujours des siècles plus tard de la Bastille et puis chercher le roi et l’amener à la guillotine reste à mon avis intouchable.


Ce qui a pu se passer après dans notre histoire ne nuit pas à ce symbole intemporel. On reste un modèle respecté partout en Amérique centrale et Amérique du Sud notamment (à part le Brésil sans doute).. Toute personne qui rêve de révolution dans une certaine mesure est forcement inspirée par la France. Je l’ai vraiment ressenti partout où je suis allée lorsque je disais que j’étais française : en Argentine, au Mexique (surtout dans le Chiapas ou à Oaxaca), à Cuba, bien sur. Je crois que j’en tire vraiment une grande fierté.


Par ailleurs, diplomatiquement, la France est encore un pays qui a le poids d’un « grand » pays. Le « non » de Chirac aux Nations Unis contre la guerre en Iraq reste d’ailleurs un grand moment de diplomatie française. Franchement ce non a énormément pesé et aujourd’hui encore, je trémule en repensant à la portée symbolique qu’il a eu. J’avais a-do-ré. J’avais même adoré que des gens au fin fond du Texas qui ne savent pas que les frites sont belges a la base avaient cru nous insulter en retirant le « french » de « french fries ». Je trouvais ça. Gé-nial !


Apres mon cousin a renchéri en disant qu’il serait plus fier si « au delà de dire non, la France dit oui, lorsque la France est un pays source de propositions et d'actions au niveau mondial. C'est peut-être moins spectaculaire que couper la tête à un roi ou dire non à l'ONU ». Ça, si je devais définir le plus gros problème de la France, ce serait celui-ci : l’esprit critique et « rebelle » indécrottable sans proposer de solutions constructives. Mais j’aurais l’occasion d’y revenir.



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