Avec Christophe, il y avait eu la complicité au lycée, en révisant les maths et l’histoire/géo, les rires, les découvertes, les larmes, les premiers émois, les combines pour s’asseoir à côté sans que personne ne soupçonne rien, l’absence de concentration au moment du bac.
Dans les débuts de notre couple, le monde autour de nous avait cessé d’exister. Nous partagions beaucoup. Comme avec Roxanne, nous avions tous les deux grandis engonces dans des conventions sociales rigides qui ne nous semblaient pas si pertinentes. Mais au delà des raisons évidentes, il y avait ce que l’on ressentait, et cela ne s’expliquait pas. C’était très différent de ces couples qui se rencontrent plus tard une fois que les deux personnes sont mures, qui ont un projet de couple fondé avant tout sur la raison, qui envisagent l’avenir ensemble de manière presque contractuelle. Etre ensemble n’était pas un choix ni une contingence, c’était un amour nécessaire fondé sur quelque chose d’irrationnel qui avait été bien plus fort que nous. Comme une force de la nature. Ne pas concrétiser notre amour dans une relation intime nous était vite apparu comme inconcevable.
À l’époque, j’aurais fait n’importe quoi pour lui; j’aurais sauté d’une falaise si il me l’avait demandé.
Notre couple se situait dans l’absolu. Le propre de ce genre de couple, je le sais aujourd’hui, c’est que les protagonistes partagent quelque chose de complètement imperceptible par le monde extérieur. Peu de gens autour de nous comprenaient la force de l’amour qui nous unissait. Les filles avaient été un peu jalouses car je leur consacrais de moins en moins de temps.
Et aujourd’hui, quatorze ans plus tard, après avoir grandi ensemble, Christophe travaillait comme trader, et était usurpé par des journées de dix heures, un rythme inhumain et un niveau de stress exponentiel. Les week-ends, il finissait souvent par se rendre au bureau pour rattraper les dossiers qui avaient pris du retard. On ne se voyait pas beaucoup en fait, et lorsqu’on se voyait, il était rarement de bonne humeur.
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jeudi 30 décembre 2010
vendredi 26 novembre 2010
Reprendrez-vous du gateau: Chapitre III: Christophe et moi
Christophe et moi n’étions pas mariés. Nous refusions de penser à ces chemins tout tracés par choix et par conviction. Nous n’étions pas de ceux qui peuvent envisager que le couple est quelque chose qui se donne en spectacle. On trouvait cela vulgaire et peu pertinent. Mais ce non-mariage sidérait tout le monde, d’autant plus que nous étions ensemble depuis plus longtemps que tous les autres…cherchez l’erreur. En tous cas, dans nos familles ! Dans nos milieux sociaux, je peux vous dire qu’ils la trouvaient, l’erreur.
Alors maintenant que ma quasi sœur se mariait, et que mon autre quasi sœur s’était déjà mariée et était déjà mère de famille, c’était « reparti pour un tour ! ». Christophe et moi allions être bombardés de nouveau par la question qui s’imposait, une question qui était comme un jugement. C’est fou l’amitié entre filles. Quoi qu’on fasse, on est forcément prisonnières de ces prévisibles comparaisons entre les unes et les autres, de ces schémas. S’en affranchir est tout bonnement impossible ! C’est comme si malgré nous on se définissait les unes par rapport aux autres, et la société faisait de même.
Et puis il allait encore falloir féliciter, faire semblant d’être contents pour eux, retenir les dates, acheter des cadeaux, convaincre Christophe que ça n’allait pas être si horrible que cela.
Nos cultures familiales respectives a Roxanne et a moi se rapprochaient beaucoup du coup il ne faisait pas le moindre doute que cet évènement allait être plus difficile pour moi que le mariage de Valérie encore frais dans nos esprits. Elle venait très souvent à la maison notamment les mercredis après-midis pour « réviser », et c’est ainsi que nos parents s’étaient rapprochés, puis découverts et construit des atomes crochus. Ils répondaient aux mêmes codes. Et c’est ce qui me terrifiait : cette cérémonie allait être ce qu’allait pouvoir être le mien de mariage si je franchissais le pas un jour, et je ne voulais surtout pas voir ça.
Et ce n’était pas tout. Je l’appris ce même jour dans la foulée. Roxanne me demandait d’être sa témoin, et je ne savais que trop qu’il m’était tout bonnement impossible de refuser. Oui, toute jeune fille de vingt-huit ans normalement constituée dit oui lorsque sa meilleure amie d’enfance lui demande d’être témoin de son mariage. Il n’y a pas d’alternative. Toute jeune fille de vingt-huit ans normalement constituée aurait également répondu en pleurant de joie. Mais moi, je me demandais comment j’allais faire pour tenir la route et jouer à la témoin. Les bras m’en tombaient d’avance et j’ignorais comment j’allais tenir le choc.
En tous cas, une chose était sure : le temps passait, et Valerie, Roxanne et moi étions des vieilles. Des vieilles qui travaillaient, des vieilles qui n’allaient plus en soirée étudiante, des vieilles qui se « casaient », des vieilles qui se faisaient passer la bague au doigt, et des vieilles qui auraient trente ans très vite.
Alors maintenant que ma quasi sœur se mariait, et que mon autre quasi sœur s’était déjà mariée et était déjà mère de famille, c’était « reparti pour un tour ! ». Christophe et moi allions être bombardés de nouveau par la question qui s’imposait, une question qui était comme un jugement. C’est fou l’amitié entre filles. Quoi qu’on fasse, on est forcément prisonnières de ces prévisibles comparaisons entre les unes et les autres, de ces schémas. S’en affranchir est tout bonnement impossible ! C’est comme si malgré nous on se définissait les unes par rapport aux autres, et la société faisait de même.
Et puis il allait encore falloir féliciter, faire semblant d’être contents pour eux, retenir les dates, acheter des cadeaux, convaincre Christophe que ça n’allait pas être si horrible que cela.
Nos cultures familiales respectives a Roxanne et a moi se rapprochaient beaucoup du coup il ne faisait pas le moindre doute que cet évènement allait être plus difficile pour moi que le mariage de Valérie encore frais dans nos esprits. Elle venait très souvent à la maison notamment les mercredis après-midis pour « réviser », et c’est ainsi que nos parents s’étaient rapprochés, puis découverts et construit des atomes crochus. Ils répondaient aux mêmes codes. Et c’est ce qui me terrifiait : cette cérémonie allait être ce qu’allait pouvoir être le mien de mariage si je franchissais le pas un jour, et je ne voulais surtout pas voir ça.
Et ce n’était pas tout. Je l’appris ce même jour dans la foulée. Roxanne me demandait d’être sa témoin, et je ne savais que trop qu’il m’était tout bonnement impossible de refuser. Oui, toute jeune fille de vingt-huit ans normalement constituée dit oui lorsque sa meilleure amie d’enfance lui demande d’être témoin de son mariage. Il n’y a pas d’alternative. Toute jeune fille de vingt-huit ans normalement constituée aurait également répondu en pleurant de joie. Mais moi, je me demandais comment j’allais faire pour tenir la route et jouer à la témoin. Les bras m’en tombaient d’avance et j’ignorais comment j’allais tenir le choc.
En tous cas, une chose était sure : le temps passait, et Valerie, Roxanne et moi étions des vieilles. Des vieilles qui travaillaient, des vieilles qui n’allaient plus en soirée étudiante, des vieilles qui se « casaient », des vieilles qui se faisaient passer la bague au doigt, et des vieilles qui auraient trente ans très vite.
dimanche 7 novembre 2010
Reprendrez-vous du gateau: Chapitre II: Valérie et Arnaud
Après le lycée, notre trio féminin avait fatalement pris un tournant à cause de questions d’orientation. Nous nous étions dirigées, Valérie et moi, vers la même voie commerciale et avions fini dans la même école tandis que Roxanne avait choisi la Fac de droit. A l’époque, on partageait une ligne de conduite faite d’anticonformisme relatif qui consistait à être au BDE et à être les reines des soirées. A l’époque, cela nous paraissait très original. C’est ainsi qu’ensemble, Valérie et moi avions fait les quatre cent coups en école pendant nos années étudiantes.
Illustration: Femme libérée: by Rayn82, on Flickr
Pour les soirées, Roxanne était en général aussi de la partie et Christophe bien sur, et j’étais fidele même quand ce dernier ne pouvait se joindre pour causes de révisions. Valérie ne tarissait jamais d’éloges au sujet des couples comme Christophe et moi parce que l’on avait trouvé un équilibre et « qu’on n’était pas des loques » C’était un bon compromis. Je faisais la fête, mais notre couple résistait à la promiscuité des écoles de commerce. Ce n’était pas les occasions qui manquaient lors de ces soirées « beuveries ». Capitalisant grandement sur son statut de célibataire, au cours des soirées bien arrosées, Valérie avait tendance à succomber aux avances de tous les prétendants.
Célibataire, Valérie avait affirmé maintes fois ne pas comprendre pourquoi les gens se sentaient obligés de se « caser » si tôt et d’abandonner toute vie nocturne et sociale. Elle se moquait des couples, et elle tombait amoureuse de tous les « bad guys » de la promo et affirmait ne pas pouvoir tomber amoureuse d’un « mec normal ». Sans le savoir, en dernière année, elle allait se contredire.
Valérie et Arnaud avaient été introduits par des amis en commun. Ils avaient assez vite formé un couple de manière presque contractuelle, non pas parce qu’ils étaient fous d’amour, mais parce que cela semblait naturel, quelque peu « facile » et « pratique ».
Arnaud était étonnement conventionnel. C’était en désaccord total avec ce qu’elle avait pu être lorsque nous étions étudiantes. Les « bad guys » de la promo étaient bien loin. Ils étaient un couple en bonne et du forme; un couple fonctionnel, un couple efficace, un couple bien comme il faut, le genre de couple qui investit dans l’immobilier, un couple qui accueille tous les codes du couple et les fait sien, un couple qui rend les autres couples peu prestigieux en comparaison.
Ce n’était pas un couple formé dans l’aveuglement du début que traversent les « couples passion ». Ils avaient conscience de leurs imperfections mutuelles, de leur relativité, et avaient choisi de s’aimer, aussi imparfaits soient-ils. Le souvenir de la déception amoureuse que Valérie avait vécue au lycée y était sans doute pour quelque chose : il est plus facile d’être dans une couple résigné qui fait du bien et de vivre sans risque, sans réelle menace que le couple ne tienne pas. Par contre, c’était aussi à mes yeux le genre de couple « frère et sœur » efficace pour ce qui est organisationnel ou ce qui a trait a la logistique du quotidien, mais où tu te demandes si il leur arrive de faire l’amour parfois. Il faut croire que oui : vingt-six ans, Valérie était enceinte et ils venaient d’emménager dans une petite maison avec jardin payée par leurs parents respectifs dans un complexe moderne d’une banlieue Ouest parisienne quelconque.
J’avais assez mal vécu le fait que mon amie, aussitôt Arnaud rencontré, s'avérât prévisible comme toutes les autres femmes. Elle suivait le même moule que ces couples, et ce même chemin tout tracé qu’elle avait toujours remis en question. C’est ce qu’on appelle ne pas être en accord avec soi-même, et moi, je lui en voulais car c’était comme si elle m’avait trahie. Je ne lui avais jamais dit.
Cette vice-présidente de BDE fêtarde aux apparences indépendantes et « femme libérée », venait de se caser comme un oiseau auquel on aurait coupé les ailes et qui, au lieu de s’en rendre compte, devient amnésique et oublie qu’il a jadis eu des ailes. Elle se retrouvait a peine deux ans après le début de l’école, à commencer absolument toutes ses phrases par « nous » ou « on », et je me gardais bien de lui rappeler que peu de temps auparavant, elle se moquait des couples qui faisaient de même et s’était même juré de ne jamais devenir comme eux.
Mais j’avais fini par lui pardonner cette trahison. Une bonne amie, cela ne juge pas. Une bonne amie, cela soutient son amie avec le sourire, et c’est ce que je m’apprêtais à faire pour Roxanne.
Illustration: Femme libérée: by Rayn82, on Flickr
Pour les soirées, Roxanne était en général aussi de la partie et Christophe bien sur, et j’étais fidele même quand ce dernier ne pouvait se joindre pour causes de révisions. Valérie ne tarissait jamais d’éloges au sujet des couples comme Christophe et moi parce que l’on avait trouvé un équilibre et « qu’on n’était pas des loques » C’était un bon compromis. Je faisais la fête, mais notre couple résistait à la promiscuité des écoles de commerce. Ce n’était pas les occasions qui manquaient lors de ces soirées « beuveries ». Capitalisant grandement sur son statut de célibataire, au cours des soirées bien arrosées, Valérie avait tendance à succomber aux avances de tous les prétendants.
Célibataire, Valérie avait affirmé maintes fois ne pas comprendre pourquoi les gens se sentaient obligés de se « caser » si tôt et d’abandonner toute vie nocturne et sociale. Elle se moquait des couples, et elle tombait amoureuse de tous les « bad guys » de la promo et affirmait ne pas pouvoir tomber amoureuse d’un « mec normal ». Sans le savoir, en dernière année, elle allait se contredire.
Valérie et Arnaud avaient été introduits par des amis en commun. Ils avaient assez vite formé un couple de manière presque contractuelle, non pas parce qu’ils étaient fous d’amour, mais parce que cela semblait naturel, quelque peu « facile » et « pratique ».
Arnaud était étonnement conventionnel. C’était en désaccord total avec ce qu’elle avait pu être lorsque nous étions étudiantes. Les « bad guys » de la promo étaient bien loin. Ils étaient un couple en bonne et du forme; un couple fonctionnel, un couple efficace, un couple bien comme il faut, le genre de couple qui investit dans l’immobilier, un couple qui accueille tous les codes du couple et les fait sien, un couple qui rend les autres couples peu prestigieux en comparaison.
Ce n’était pas un couple formé dans l’aveuglement du début que traversent les « couples passion ». Ils avaient conscience de leurs imperfections mutuelles, de leur relativité, et avaient choisi de s’aimer, aussi imparfaits soient-ils. Le souvenir de la déception amoureuse que Valérie avait vécue au lycée y était sans doute pour quelque chose : il est plus facile d’être dans une couple résigné qui fait du bien et de vivre sans risque, sans réelle menace que le couple ne tienne pas. Par contre, c’était aussi à mes yeux le genre de couple « frère et sœur » efficace pour ce qui est organisationnel ou ce qui a trait a la logistique du quotidien, mais où tu te demandes si il leur arrive de faire l’amour parfois. Il faut croire que oui : vingt-six ans, Valérie était enceinte et ils venaient d’emménager dans une petite maison avec jardin payée par leurs parents respectifs dans un complexe moderne d’une banlieue Ouest parisienne quelconque.
J’avais assez mal vécu le fait que mon amie, aussitôt Arnaud rencontré, s'avérât prévisible comme toutes les autres femmes. Elle suivait le même moule que ces couples, et ce même chemin tout tracé qu’elle avait toujours remis en question. C’est ce qu’on appelle ne pas être en accord avec soi-même, et moi, je lui en voulais car c’était comme si elle m’avait trahie. Je ne lui avais jamais dit.
Cette vice-présidente de BDE fêtarde aux apparences indépendantes et « femme libérée », venait de se caser comme un oiseau auquel on aurait coupé les ailes et qui, au lieu de s’en rendre compte, devient amnésique et oublie qu’il a jadis eu des ailes. Elle se retrouvait a peine deux ans après le début de l’école, à commencer absolument toutes ses phrases par « nous » ou « on », et je me gardais bien de lui rappeler que peu de temps auparavant, elle se moquait des couples qui faisaient de même et s’était même juré de ne jamais devenir comme eux.
Mais j’avais fini par lui pardonner cette trahison. Une bonne amie, cela ne juge pas. Une bonne amie, cela soutient son amie avec le sourire, et c’est ce que je m’apprêtais à faire pour Roxanne.
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